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Mokha Laget, le jeu abstrait de l’esprit


 
Outskirts, 2017, flashe and pigment on shaped canvas, 43’’ x 47’’ x 1’’

Il y a d’abord une inspiration des grands espaces. « Ce sont les formes et les couleurs des déserts du Sahara et du sud-ouest américain qui sont profondément imprimées dans mon âme. » Mokha Laget vit au Nouveau Mexique. Son expérience des traversées de lumières, de couleurs des terres s’envisage comme une suite d’impulsions visuelles qui constitue la matrice de ses toiles.

Ses « shaped canvas » de structure géométrique évoluent selon leurs propres lois et surprennent en créant un trouble interprétatif durable.
« Le regardeur se trouve devant une ambigüité perceptuelle, devant de multiples plans ou points de vue. L’esprit tente de résoudre le paradoxe puis se rendant compte de cette impossibilité, se retrouve dans la contemplation pure. »
Les tableaux agissent comme des irruptions dans l’art. Ils explorent la pertinence d’une jonction entre la peinture et l’architecture. Leurs points de fuite prolongés hors cadre, la compression des plans, les inversions d’espaces participent aux perturbations optiques qui altèrent la vision et renforcent l’ambigüité.

Le concave oscille avec le convexe, l’espace bidimensionnel avec le tridimensionnel, la transparence avec l’opacité, le scientifique avec le poétique. Ce qui est devant passe derrière et vice-versa. Tout dépend de la manière dont on se focalise. On croit distinguer les tétraèdres, hexaèdres, octaèdres ou autres solides empruntés à la géométrie sacrée platonicienne. Mais malgré leur apparence de relief, les surfaces sont entièrement lisses. Ce jeu de perspectives faussées s’appuie sur les angles aigus, droits, obtus qui forcent la dynamique et conditionnent l’œuvre en déplaçant son centre de gravité.

L’artiste est une collectionneuse de pigments. Depuis toujours elle recueille des poudres éclatantes au cours de ses voyages.  Elles les intègrent à divers liants ainsi qu’à des peintures vinyliques ou des peintures à base d’argile sur toile de coton tendue sur un châssis construit.
Elle se débarrasse du signifiant en altérant singulièrement la relation de l’œuvre à son environnement.  Des rapports presque métaphysiques s’articulent entre les espaces. La complexité rythmique de la superposition des aplats de couleurs, du plus éclatant à l’atone, évoque la grammaire de l’art syncrétique inspiré des canons structurels de l’école de Josef Albers, du « color field movement », du « hard-edge », du mouvement « light and space » californien ou encore de l'École des couleurs de Washington.
« L’idée est de ne prioriser ni la forme, ni la couleur, mais de les mettre en interaction inextricable à titre égal. »

Le principe de séquence et de répétition construit une suite d’œuvres qui peut sembler infinie en faisant basculer la composition pour changer radicalement l’aspect final.
Les tableaux fonctionnent ainsi comme des dispositifs à générer de l’attention. En adjoignant les œuvres dans un accrochage composite qui prolifère au mur, leurs multiples variantes créent des résultats très divers aux différences visibles et invitent le spectateur à une lecture rhizomatique.
L’idée de rationaliser le paysage et la géométrie témoigne de notre désir ancestral de maîtriser et structurer l’espace.
« Les composantes géométriques ont toujours fait partie de mon travail artistique. Elles découlent sans doute de mon intérêt pour les systèmes scientifiques inventés par l’Homme pour organiser son univers personnel. »

Sa recherche technique, son souci constant des matériaux et des textures, sa préoccupation d’équilibre et d’harmonie sont autant d’éléments qui soutiennent l’abstraction formelle des éléments ludiques de Mokha Laget. Son travail est un jeu abstrait de l’esprit qui frappe par la pertinence et l’originalité de son énigme plastique.