Ses créations convoquent la fragile et délicate caractéristique du
livre d’artiste… Autant d’invitations à évaluer la potentialité esthétique de
l’objet et son adhésion dans le monde de l’art comme œuvre à part entière.
A la fois auteure et peintre
plasticienne, Laurette Succar réévalue en permanence le concept de la
« belle forme » afin de permettre à la signification neuve d’émerger.
Pour ce faire, elle affirme sa
quête du support en confectionnant son propre papier. Elle détermine le format
et fabrique le tamis afin d'étaler sa pâte à papier ou ses fibres végétales.
Papier chiffon, papier journal, papier à base de fibres de bambou, papier
rituel, papier recyclé de toutes sortes deviennent alors autant de supports qui
lui servent de matière. « Le papier
est pour moi très précieux, il renvoie à la matrice, à l’écriture, aux
signes. »
Son support relève d’un espace
composite texturé réunissant altérités et autres curiosités insatiables.
L’artiste traque les petits trésors accidentels à la perfection symbolique
pour créer l’assemblage improbable et en
extraire l’inattendu.
Feuille après feuille, le livre
prend forme, échappe aux stéréotypes de lisibilité et témoigne du polymorphisme
du travail de Laurette ; une lente maturation dont les étapes peuvent se
partager avec la collaboration d’autres artistes. « Après
plusieurs séances d’apprivoisement, interventions plastiques et textes se
marient afin de laisser les mots se glisser avec générosité et humilité
entre les formes, les couleurs (…) C’est pour moi un véritable travail
épidermique où tout est lié autour du papier veiné, ridé qui a laissé le temps
agir sur lui-même. »
Les empreintes qui résultent
d’une affaire de circonstance entre la maîtrise du geste et l’aléatoire sont
absorbées, ingérées, restituées et effacées.
Le livre unique réunit
systématiquement le même auteur et le même plasticien. Il est ensuite relié ou
présenté en feuillets simples, numéroté et quelquefois emboîté puis intégré
dans une série, souvent construite autour de sept exemplaires.
« Le chiffre sept est un point de ralliement que l’on retrouve
dans beaucoup de cultures à travers le monde. C’est un chiffre allusif,
récurrent, religieux, philosophique… Les sept merveilles du monde, les
sept épices… »
Laurette est chrétienne d’Orient,
née au Liban. Les épices, apparaissent de façon sérielle dans son travail.
Elles évoquent les couleurs, les odeurs, les saveurs de la cuisine de sa mère.
Des épices au papier, ses travaux
se construisent autour de souvenirs nourris de situations remémorées, mettant à
jour les différentes strates de la mémoire. Une véritable relation ambivalente
reliant des scènes de vie situées entre le souvenir personnel et l’instant
vécu.
Ces bribes de réalité agrégées
les unes aux autres provoquent le sentiment d’une réminiscence ; des
traces de vie ordinaires et fictionnelles qui ont le pouvoir de ravir parce
qu’elles apparaissent comme des révélations, des explorations de temps et de
territoires.
Suhour, livre objet, techniques mixtes sur
papier fibres de bambou, 2009
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Les Emirats
Arabes Unis, où elle s’expatrie pendant trois ans, donnent naissance à ses
premiers livres objets à base de poudre de henné, d'indigo, d'encens, et de
matériaux divers glanés sur place. Elle les baptise « Iftar » (la
rupture du jeûne), « Suhour » (le repas de fin de nuit) et
« Jebel Hafeet » (le
point culminant de l’Emirat d'Abu Dhabi.)
« Les lieux, les événements et les rencontres qui me traversent
trouvent un écho dans mon travail. »
A l’extrémité de la chaîne de ses
procédés d’appropriations, d’ajustements, de distanciations du réel et de ses
feintes, se jouent des correspondances visuelles, tactiles et olfactives. Sous
cette forme de poésie cognitive aussi signifiante qu'instinctive, textures,
couleurs et senteurs offrent autant qu’elles retiennent.
A la fois bavarde et non
discursive, son écriture manuscrite est travaillée dans ses rapports à
l’espace, là-même où les silences et les blancs ont leur place. Au cœur d’une
surface aux tonalités terre, non sans évoquer la nature, le signe devient
empreinte et vice versa. « L’écriture
et la peinture font parties du même processus. Je peux jouer et lutter
autant avec la matière qu’avec les mots. »
L’écriture, la peinture, le
dessin se font abstraits, légers, silencieux, et volubiles. Dans un format
intimiste ou plus imposant, Laurette Succar fait parler ses livres avec une
subtile et immense liberté d’expression. Certains exemplaires sont remis à la
réserve des livres rares de la BNF, 1ère collection française de
livres d’artistes, d'autres sont régulièrement exposés en France et à
l'étranger.