Délibérément discursive, la production de Didier Avril constitue une critique sagace du monde et de sa structuration au sein de l’entreprise.
A
la fois artiste et manager, son geste créatif témoigne d’un lien fort entre
l’art et l’entreprise. Didier Avril s’empare d’abord d’un objet, le paper board
de salles de réunions avant de le mettre en
forme.
« Il y a dans le paper board une énergie,
un lâcher prise intéressant. Les gens ne font pas attention à ce qu’ils écrivent,
ils ne se surveillent pas. Ce sont des gestes pleins d’énergie avec des schémas
totalement délirants. Quand je regarde le paper board c’est pour moi comme un
tableau d’art brut. »
Didier Avril libère le paper board de son châssis. La feuille
écrite, griffonnée, raturée est reproduite généralement en 8 images identiques
de 1m50 x 1 m puis assemblée par
superposition de calques, sans débordement. Ces collages d’un genre nouveau,
réalisés dans l’épaisseur sous Photoshop, sont reproduis sans retouches. Les
couleurs et les contrastes confèrent une force expressive très graphique. Le
réel devient une occurrence virtuelle. Les tirages sont ensuite imprimés sur
papier photo Dupon, ajourés en dentelle au cutteur puis plastifiés.
Si
la matérialité de son oeuvre se développe au format numérique,
sa recherche évoque
la réflexion « support-surface » ; la question de l’œuvre, de
son processus de création et de l'affirmation
de la réalité physique du tableau.
En démontant et multipliant le support, la
substance du signe calqué se révèle à la surface. Ces compositions formelles,
denses et organisées apparaissent avec une forte présence spatiale sous très
peu d’espaces vides. Entre matérialité et immatérialité, les figures composites
aux potentialités illimitées sont in fine
insaisissables. Le déchiffrage s’applique à multiples degrés. Comme quelque
chose de l’ordre de la circulation, une déclinaison d’un réseau codé, celui
d’une entreprise, d’une ville, de la planète ; une matrice et ses flux d’information
qui éclatent sous forme de fragments, traces uniques. Un conglomérat enchevêtré
d’une étonnante expansivité. Un joyeux désordre foisonnant qui établit la
physionomie d’un hypermonde, rompant avec l’illusionnisme du réel et brouillant
les pistes.
« L’entreprise fabrique le
monde. C’est une matrice qui va bien plus loin que de produire des biens et des
services. Elle construit notre façon de penser, le monde efficace, un équilibre
entre l’énergie et le sens. (…) Ce qui m’intéresse c’est le décryptage de l’hypermonde. Il y a dans
l’hypermonde l’idée d’imprécision précise. L’imprécision des aplats et du trait
donne une impression d’équilibre intérieur. Pourtant en regardant le détail,
rien ne tient debout. »
Sous
cette superstructure qui dissimule ses infrastructures, le signe est étouffé par la masse, l’individualité est absorbée par l’hypermonde.
Le rapport au collectif en plein délitement suggère la question
l’individualisme et de la place de l’art. « L’entreprise
a peur de la singularité et donc de l’art. L’art n’occupe pas la place qu’il
devrait occuper en entreprise aujourd’hui. »
Attrayantes, déroutantes et engagées à la fois, les
compositions prolifiques et sérielles de Didier Avril invitent à une projection
mentale d’une profondeur expressive conceptuelle ultra contemporaine.
L’artiste sera représenté
par la galerie Jamault au salon Art O’clock
du 19 au 21 septembre 2013 au CNIT,
Paris la Défense.