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Delphine de Pury, la réincarnation des images

Delphine de Pury pratique la mise en scène de la photographie sur toile.Chacune de ses œuvres est une réflexion sur l’espace et l’environnement. Le support est d’abord numérique puis imprimé, redimensionné, travaillé et prolongé sur la toile à l’acrylique.

Sans titre 1, 2009, photo numérique marouflée sur toile et gouache, 40 x 40 cm 

Le point de départ est l’Inde et ses figures humaines. Chaque année, l’artiste explore le pays du nord au sud, du Ladakh dans l’Himalaya, au Rajasthan, à Madya Pradesh, ou encore Varanasi, Delphine de Pury photographie des milliers de scènes de vie et de portraits. Un travail en série, forme de pratique fertile qui relève de l’aventure et de la liberté. Ses « acteurs-donneurs » de l’instant sont des inconnus, photographiés dans la rue. Enfants, femmes âgées, malvoyants… Elle photographie ceux qui lui offrent leurs regards ; comme une référence à sa propre histoire, Delphine de Pury est atteinte d’un glaucome irréversible. 

« C’est toujours l’émotion du lieu, du moment et les personnes que j’ai photographié qui m’inspirent pour poursuivre ma création sur la toile. Mes oeuvres sont des oeuvres souvenirs. » Delphine de Pury fait appel à ses souvenirs pour stimuler son imaginaire et  réinventer la scène. Elles se réapproprie le lieu. Les sensations sont inscrites dans sa mémoire qu’elle convoque pour une vibration nouvelle. Les formes se recomposent, les plans dialoguent autour et dedans, laissant les photographies sortir librement de leurs cadres. L’occupation parfaitement maîtrisée de l’espace laisse les couleurs pastel trancher avec l’usage du noir et des aplats blancs au repentir visible.

Sans titre 2, 2011, photo numérique et collage 30 x 40cm
Parfois les anges de Giotto savamment intégrés par procédé de collage survolent la toile, comme une citation formelle récurrente évoquant son propre regard « Ces sont des spectateurs engagés, ils s’émerveillent ou s’attristent. Ce ne sont pas des touristes passifs. Ce sont les anges de l’empathie. » Le procédé, également repris par linogravure sur la photo, renforce la théâtralité de son œuvre sans contredire le réel.  

La dimension physique immédiate de la photographie prime, puis une dimension mentale plus lente nous invite, par la peinture, à pénétrer dans la toile. La photographie fait place à ce qui l’entoure à tel point qu’elle apparaît traitée comme un élément de la peinture. D’une apparente frontalité au préalable, la photo et la peinture finissent par s’unifier comme une non-dualité. « Ce qui m’intéresse c’est la non-dualité ; faire partie du monde qui m’entoure sans limites entre soi et les autres. L’Inde c’est là où je retrouve ce magma humain, là où je vis le plus fortement cette grande unité, comme une étape spirituelle. » 


Durga, 2012, photo numérique et peinture acrylique 74 x 54cm
Une autre série de l’artiste convoque les dieux indiens. Ces enfants-dieux de la rue sont magnifiés sur toile avec la peinture de leurs attributs divins identifiables comme Durga et son trident. « L’Inde est un marchand de fleur sur un tas de déchets. Ce pays se modernise à grande vitesse mais la présence des dieux est toujours là. Pratiquement toutes les classes sociales préservent les traditions religieuses et culturelles malgré les excès de la modernisation » poursuit l’artiste.

Au delà d’une société à deux vitesses, le travail de Delphine de Pury joue sur l’intemporalité et procure un sentiment de sérénité. Ces œuvres abolissent les limites picturales et figent l’instant pour l’éternité, une véritable lévitation plastique.