Accéder au contenu principal

Waste Landscape, Elise Morin & Clémence Eliard



De l’esthétisme à l’éthique, il n’y a qu’un geste

Cette installation artificielle utilise le langage de la nature. Un paysage dont la forme est dictée par le matériau ; le Compact Disc. Constituées d’une multitude de disques assemblés en dalles adaptables, ces montagnes magiques à la plastique apaisante font pourtant naître le trouble. 




 Le prisme de la réalité en mutation

Au pied de ces vallées impénétrables, le spectateur oscille entre le tout et ses parties, entre la masse et son objet. La conscience se mêle dans un mouvement qui fait se rejoindre macrocosme et microcosme.  Un va et vient pour cerner l’unité inscrite dans la multitude.
La nappe monumentale créée à partir de ce petit objet du quotidien procure une sensation d’infini. Les plans et les volumes dialoguent pour structurer l’espace avec un sentiment d’envahissement, comme un paysage en mutation.

Un système gonflable associé à un programme de soufflerie permet un léger mouvement des dunes. Ces respirations ponctuelles et cycliques procurent une perception organique, débordante et expansive de l’installation.

La lumière reflétée par les CD accentue la position mouvante et dominante de l’œuvre dans son espace d’exposition. Chaque disque réfracte la lumière sous un angle qui lui est propre. La lumière se diffuse et se disperse par reflets, actionnant la masse luisante qui ondule. De la lumière naturelle nait la lumière artificielle comme un miroir de notre époque qui part son travail de réflexion devient image ; une apparente frontalité qui souhaite tout montrer. Entre attraction et crainte, une ambivalence émouvante envahit le spectateur. Car il s’agit bien de questionner sur l’utilisation malicieuse de l’objet symbolique.


Memento mori, les limites du support technologique

A l’heure de la dématérialisation, ce support de  mémoire informatique vieillissant est périmé. Ces collines couvertes de CD, amassés, rejetés par une société de consommation mortifère, évoquent les déchetteries gigantesques et l’épuisement de la gestion des ressources naturelles. Waste-Landscape est une œuvre caméléon constituée d’écailles, sortes d’érosions d’une terre en souffrance ou d’une mer agitée, ultra polluée où plus rien ne vit. C’est la topographie d’un nouveau paysage, une contrée désertique souillée et abandonnée, un non-lieu qui évoque ce qu’on ne le regarde pas. Une nature synthétisée, abîmée par l’accumulation de la surproduction technologique.

L’installation révèle le potentiel et l’aspect précieux d’un objet à priori ordinaire. Dévoreur d’énergie et très polluant, le CD utilise de grandes quantités de polycarbonate. Ce matériau de substrat se prête pourtant totalement au recyclage et constitue une matière prisée utilisée en remplacement du pétrole. En France, Il n’existe pas de filière de recyclage. Ce poids plume de 16 grammes est certes négligeable s’il est jeté à la poubelle, son accumulation, en revanche, montre l’absurdité de son non recyclage. 


L’art relationnel contre le gaspillage

Pour apporter une réponse, Waste-Landscape met en abîme les modes de productions alternatifs. Le tissage du nombre impressionnant de CD est réalisé par des ateliers de réinsertion. Actuellement constituée de disques invendus, l’installation évoluera par le remplacement progressif de CD collectés, usagés. Ils seront par la suite recyclés de manière mécanique, non chimique. Broyés de façon propre, des nouveaux produits de substitution deviendront ainsi des objets-souvenirs en vente sur le lieu de l’exposition. Une façon de promouvoir l’art comme un cycle propre.

L’accumulation de matériaux identiques, la répétition de motifs, le rapport étroit entre l’installation et l’espace qu’elle occupe, l’inscrit dans une filiation certaine avec le minimalisme. C’est aussi une référence explicite aux paysages manufacturés montrant les effets néfastes de l’industrialisation et de la pollution d’Edward Burtynsky. On pense, d’autre part, au travail de Tara Donovan et ses sculptures de matériaux accumulés pour obtenir des volumes abstraits en référence aux paysages de la nature.
Mais Waste-Landscape est également un nouveau né de l’art relationnel où « l’expérience de la relation sociale prime » pour concevoir l'art comme un ensemble de pratiques à penser au sein d'une société.  (L’esthétique relationnelle, Nicolas Bourriaud.)

Waste-Landscape vacille entre éphémère et pérennité. C’est une œuvre lisible et accessible immédiatement. En liant esthétisme et engagement, Clémence Eliard et Elise Morin ont choisi une force artistique de leur temps.  Un nouveau regard militant et écologique sur le monde, pour nous permettre d’actualiser en profondeur nos modèles esthétiques, éthiques, mais aussi sociaux, économiques.

"WASTE LANDSCAPE”, PAYSAGE MANUFACTURÉ
Installation à partir du 21 juillet au 104 à Paris, dans la Halle d’Aubervilliers